FORGE ET LAME
QUELQUES CARACTERISTIQUES ESSENTIELLES DES LAMES KOTO
par Malcolm T. Shewan
Le but de cet article est de définir plus précisément les quelques différences essentielles qui caractérisent les lames KOTO par rapport aux lames plus tardives. Mais avant de commencer, permettez-moi d'en rire. Le sujet est en effet vaste et cet article ne peut que prétendre dresser une esquisse de ces différences qui existent entre KOTO et après KOTO (SHINTO - SHIN-SHINTO GENDAI). Il n'existe pas, compte tenu de l'ampleur du sujet, de règles strictes, car il se trouve toujours des exceptions qui ne confirmeront pas ces règles. Mon but est plutôt de soulever certains aspects spécifiques qui, j'espère, inciteront le lecteur à pousser cette recherche plus avant.
On peut puiser, dans tout art du monde entier, certains principes fondamentaux. Ceci s'applique bien sûr au sabre japonais dont nul ne contestera la valeur artistique. En ce qui concerne l'art japonais pris dans sa globalité, il concilie trois qualités parfaitement complémentaires et équilibrées: la simplicité, l'élégance et la puissance. La beauté et l'utilité sont donc les deux principes qui constituent l'essence de l'art japonais. Je précise ceci en guise d'introduction non pas pour définir l'art japonais, mais plutôt ce qui ne l'est pas, c'est-à-dire pour distinguer le chef-d'oeuvre de l'objet artistique, quelle que soit sa beauté. La compréhension de cet aspect de l'art japonais aiguillera autant le néophyte qu'il nourrit la passion du collectionneur averti.
Esthétique et technique
La tendance actuelle, voire même par le passé, accorde trop d'importance à la beauté au détriment de la valeur utilitaire de l'objet d'art. C'est ainsi qu'une connaissance principalement livresque (historique, analytique, conceptuelle) n'amènera qu'une compréhension partielle de l'art et de ce qu'il implique, qu'il s'agisse du Nippon-To ou de l'art japonais en général. Par exemple, il est essentiel de savoir distinguer un Choji-Utsuri sur une lame Bizen-Koto ou un beau Utsuri sur une lame Sue-Koto, voire même savoir que ces deux Utsuri sont composes de troostite contenant de la martensite et un peu de sorbite. Cette connaissance n'est cependant que partielle si l'on ne mesure pas l'incidence métallurgique que cela implique dans les caractéristiques de la lame, ou encore dans quelles conditions très complexes est formé cet Utsuri; elle ne permettra pas d'en créer soi-même. Cette capacité permet en effet non seulement d'apprécier la qualité et la beauté du travail réalisé, mais encore de connaître le processus qui le crée et ainsi parvenir à en déterminer les propriétés physiques.
Certes, le forgeron d'antan ne possédait pas la connaissance métallurgique que nous avons aujourd'hui. Cependant, il était guidé par une certaine connaissance empirique pratique qui imposait l'observance d'un rituel précis empreint d'un certain mysticisme. Ceci permettait la reproduction intégrale de lames aux propriétés physiques éprouvées et reconnues unique préoccupation des forgerons Koto, préoccupation qui était dictée par des impératifs martiaux. C'est de cet impératif martial que son nés les principes d'utilité et de beauté caractéristiques de la période Koto. La science métallurgique actuelle doit permettre d'apprécier et de comprendre d'autant mieux les méthodes des forgerons Koto qu'elle peut sérier et éliminer leurs aspects mystiques tout en sauvegardant son caractère traditionnel.
Trois dates et trois caractéristiques
Trois dates de l'histoire japonaise correspondent de façon marquante à des périodes de bouleversement de la culture nippone du point de vue des lames, aussi bien que dans d'autres domaines. La première de ces dates se situe aux environs de 782, soit au début de la période Heian. C'est à partir de cette époque que se fixe la forme générale du sabre japonais que nous connaissons aujourd'hui. Le sabre acquiert alors des caractéristiques spécifiquement japonaises. Cette période correspond également à l'introduction du bouddhisme et à l'avènement de la classe guerrière qui commence à jouer un rôle politique.
La seconde date se situe aux alentours de 1600. A cette époque, le Japon est totalement unifié et possède un pouvoir centralisé. On l'appelle la période Edo. Après de longues guerres civiles s'instaure une période de paix. Les classes sociales se figent, les villes attirent du monde grâce notamment à l'amélioration et à l'extension des voies de communication. Tous ces facteurs influencèrent les divers modes de fabrication des lames. La dernière date correspond à 1868, au moment ou le Japon prit sa place parmi les nations modernes.
La date qui nous concerne dans cet article est la date charnière de 1600 correspondant à la fin de la période Koto. A cette époque, la création d'un centre de forge nécessitait d'une part la proximité de la matière première, constituée par un minerai de qualité, d'autre part des étendues de forêts pour la production de charbon de bois, et enfin, de façon générale, la présence d'un marché sous la forme de concentration militaire. C'est la combinaison de ces facteurs favorables qui permit la création et le développement des cinq principaux centres de forge (Gokaden) entre la période Heian et Edo (période Koto). Ces centres donnèrent naissance à différentes écoles filiales.
L'une des caractéristiques de cette période repose donc sur la production artisanale, à partir de minerai local, de l'acier nécessaire au centre. Il convient également de savoir que la forge du sabre a été, dès le départ, une méthode de production distincte des autres branches de la métallurgie. (1)
La qualité du minerai était d'importance primordiale pour la fabrication d'une bonne lame. Seule une connaissance empirique permettait au forgeron de l'époque de sélectionner son minerai en fonction des caractéristiques recherchées. Ainsi, le minerai de Bizen était extrêmement prisé par les forgerons de sabre, tandis que celui de Kashima, pourtant l'un des plus importants centres de production du fer, était plutôt destiné à l'outillage. Aujourd'hui, les analyses métallurgiques nous renseignent sur la teneur en fer et autres composants, et permettent de comprendre scientifiquement les données empiriques des forgerons d'antan. La provenance uniquement locale du minerai constitue l'une des premières caractéristiques Koto par rapport aux autres périodes.
Wakita Ryosui Shisho, Maître-Forgeron japonais, n'a cessé de me répéter que pour obtenir un acier de qualité, facteur déterminant pour la fabrication d'une bonne lame, il fallait "toujours respecter la virginité du métal". Voilà une phrase qui, métallurgiquement parlant, ne laisse pas de surprendre. En effet, comme nous ne l'ignorons pas, il ne suffit pas de fondre du minerai pour obtenir de l'acier. L'acier est en fait l'alliage principal du fer avec le carbone. Il est obtenu par un processus de cémentation à l'aide, suivant la méthode japonaise, de charbon de bois et de feu. Sans entrer dans des considérations métallurgiques trop élaborées, il s'agit d'amener le fer et le charbon de bois à une température qui leur permette de s'allier, et ce durant un certain temps et selon la température minimum nécessaire. Ceci ne constitue pas à proprement parler une fonte, mais à l'image de la bougie dans la bouteille de Chianti de votre restaurant italien habituel, d'un goutte-à-goutte lent et progressif. Pour ce faire, le forgeron fabriquait et utilisait des fours relativement petits. L'expérience a d'ailleurs démontré que les meilleurs aciers étaient obtenus dans de petits fours. A l'époque, ce travail relevait du forgeron lui-même, ou à la rigueur d'un groupe de forgerons travaillant ensemble.
Ainsi, notre deuxième caractéristique essentielle de la période Koto résidait dans le fait que le forgeron produisait son acier selon ses besoins.
Le produit de ces petits fourneaux (kera) était donc un acier direct d'aspect amorphe et encombré d'impuretés (silice). Avec une teneur en carbone imparfaitement repartie, pouvant varier de 0,1 % à 0,7 ou 0,8 % (la teneur en carbone des lames Koto, selon les analyses métallurgiques modernes, était en moyenne de 0,6 %, ce qui en soi est déjà une caractéristique), le travail du forgeron consistait à obtenir un bloc d'acier plus raffiné et d'une teneur en carbone relativement homogène. Cette phase était réalisée à la forge en soudant et en repliant de façon à obtenir un acier corroyé. Après la période Koto, ce travail était souvent exécuté dans les centres sidérurgiques de l'époque.
Notre troisième caractéristique est donc constituée d'un acier en teneur en carbone plus ou moins hétérogène(2), comportant un certain nombre d'inclusions(3) et dont le raffinage était effectué par le forgeron lui-même(4).
A partir de 1600 environ, tout ce travail était assuré par les centres sidérurgiques de l'époque, le minerai servant de matière première à une masse. Les méthodes de production s'agrandissent pour augmenter leur rendement. Le forgeron s'adressera à un fabricant d'acier déjà purifié et relativement purifié, en tout état de cause, en teneur en carbone souvent plus élevée qu'à l'époque Koto. C'est le début de la véritable sidérurgie japonaise.
J'espère que le lecteur saisira, au travers de ces trois caractéristiques, les différences fondamentales qui existent entre le travail Koto et ce qui a suivi. Il ne s'agit pas de jugement de valeur, mais de réalités métallurgiques.
Traitement thermique et trempe
Une dernière caractéristique spécifique dont je voudrais parler, bien qu'il en existe d'autres de moindre importance, est le traitement thermique de la lame. Tout le monde sait que, suivant la méthode japonaise, on effectue une trempe sélective, pratiquement sans revenu, grâce à l'application sur la lame d'une couche d'argile. Cependant, il existe deux méthodes principales pour effectuer cette phase: in-no-tsuchi et yo-no-tsuchi. Ce dernier procédé, communément connu, consiste à appliquer une couche épaisse d'argile et à l'enlever sur la partie à tremper selon le dessin désiré. Cette technique permet en effet la formation d'un Hamon extrêmement alambiqué, tels Kiku-sui-ba, Sudare-ba, etc. Cependant, métallurgiquement parlant, cette technique crée un très fort contraste entre la structure cristalline de la partie trempée et celle de la partie non trempée. En termes simples, la trempe est trop nette, trop parfaite. De plus, cette méthode ne facilite pas la formation de caractéristiques telles que Utsuri, ou autres variations de structures cristallines dans la partie Ji. Elle encourage le forgeron à effectuer des trempes à hautes températures et généralement parlant, le résultat, bien qu'esthétiquement et techniquement impressionnant, est beaucoup moins subtil du point de vue métallurgique.
Nous n'avons, au sujet du traitement thermique de la période Koto, que des connaissances obscures. Mais les recherches qui ont été entreprises indiqueraient qu'on employait, durant la période Koto, la méthode in-no-tsuchi. Ce procédé consiste à recouvrir la lame d'une couche très mince d'argile. Au lieu d'enlever l'argile, comme dans le yo-no-tsuchi, on ajoute de petits monticules d'argile représentant un dessin abstrait qui n'a souvent rien à voir avec le résultat final. Ainsi, le Hamon est créé de façon plus harmonieuse et pratiquement par l'acier lui-même.
Nous pouvons ainsi deviner que le corroyage, la forge et la combinaison d'aciers dans la lame auront une grande importance en influant sur le résultat final du Hamon. On constate, par exemple, dans les lames Ko-Bizen, un Hada en Ko-Mokume ou Ko-Itame possédant un Hamon en Ko-Choji, Juka-Choji, possédant un rythme du Chu-Suguha en Ko-nie. En effet, la structure du corroyage peut avoir un tel effet sur le Hamon que lors d'une visite chez un forgeron Trésor national vivant japonais, je l'ai vu effectuer une trempe en Ko-Midare sans employer d'argile, à mon grand étonnement.
D'un point de vue personnel, je considère que yo-no-tsuchi relève de la technique et in-no-tsuchi de l'art. Car yo-no-tsuchi viole le métal au point d'imposer la trempe suivant la volonté du forgeron tandis que dans in-no-tsuchi, le forgeron propose au métal et c'est l'ensemble de son travail depuis le minerai qui couronnera naturellement le résultat. Cependant, la réussite en in-no-tsuchi est tellement délicate que les forgerons, souvent par souci de rentabilité, ne veulent pas se donner la peine de l'employer.
J'aimerais, en guise de conclusion, attirer l'attention du lecteur sur l'extrême complexité des différents aspects du nippon-to. Il est donc inutile de m'écrire pour me dire que vous avez trouvé un Utsuri sur une lame après Koto, ou que tel forgeron du XIXe siècle produisait son propre acier. Il n'existe pas de règles strictes qui puissent être définitives. La seule chose qui est sûre, c'est que rien n'est sûr, rien n'est jamais fixé. C'est précisément pour cela que l'étude du nippon-to est passionnante.
Notes:
1. En effet, n'importe quel simple artisan travaillant l'acier pouvait produire des lames, avec des résultats cependant très aléatoires. Ceci ne fait qu'accroître la difficulté du collectionneur à distinguer le travail d'un maître-forgeron de celui d'un simple artisan. L'Art, de tout temps, a donné naissance aux contrefaçons. Le NIPPON-TO n'échappe pas à cette règle.
2. Ceci est surtout vrai dans le cas de SOSHU-DEN et autres écoles filiales.
3. Ceci est surtout vérifiable dans le cas de YAMATODEN NAMINOHIRA et BUNGO-TAIRA.
4. La pureté et l'homogénéité d'un acier est particulièrement remarquable dans KO-BIZEN, YAMASHIRO-RAI et AWATAGUCHI, et ancien MINO.
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par Malcolm T. Shewan
Le but de cet article est de définir plus précisément les quelques différences essentielles qui caractérisent les lames KOTO par rapport aux lames plus tardives. Mais avant de commencer, permettez-moi d'en rire. Le sujet est en effet vaste et cet article ne peut que prétendre dresser une esquisse de ces différences qui existent entre KOTO et après KOTO (SHINTO - SHIN-SHINTO GENDAI). Il n'existe pas, compte tenu de l'ampleur du sujet, de règles strictes, car il se trouve toujours des exceptions qui ne confirmeront pas ces règles. Mon but est plutôt de soulever certains aspects spécifiques qui, j'espère, inciteront le lecteur à pousser cette recherche plus avant.
On peut puiser, dans tout art du monde entier, certains principes fondamentaux. Ceci s'applique bien sûr au sabre japonais dont nul ne contestera la valeur artistique. En ce qui concerne l'art japonais pris dans sa globalité, il concilie trois qualités parfaitement complémentaires et équilibrées: la simplicité, l'élégance et la puissance. La beauté et l'utilité sont donc les deux principes qui constituent l'essence de l'art japonais. Je précise ceci en guise d'introduction non pas pour définir l'art japonais, mais plutôt ce qui ne l'est pas, c'est-à-dire pour distinguer le chef-d'oeuvre de l'objet artistique, quelle que soit sa beauté. La compréhension de cet aspect de l'art japonais aiguillera autant le néophyte qu'il nourrit la passion du collectionneur averti.
Esthétique et technique
La tendance actuelle, voire même par le passé, accorde trop d'importance à la beauté au détriment de la valeur utilitaire de l'objet d'art. C'est ainsi qu'une connaissance principalement livresque (historique, analytique, conceptuelle) n'amènera qu'une compréhension partielle de l'art et de ce qu'il implique, qu'il s'agisse du Nippon-To ou de l'art japonais en général. Par exemple, il est essentiel de savoir distinguer un Choji-Utsuri sur une lame Bizen-Koto ou un beau Utsuri sur une lame Sue-Koto, voire même savoir que ces deux Utsuri sont composes de troostite contenant de la martensite et un peu de sorbite. Cette connaissance n'est cependant que partielle si l'on ne mesure pas l'incidence métallurgique que cela implique dans les caractéristiques de la lame, ou encore dans quelles conditions très complexes est formé cet Utsuri; elle ne permettra pas d'en créer soi-même. Cette capacité permet en effet non seulement d'apprécier la qualité et la beauté du travail réalisé, mais encore de connaître le processus qui le crée et ainsi parvenir à en déterminer les propriétés physiques.
Certes, le forgeron d'antan ne possédait pas la connaissance métallurgique que nous avons aujourd'hui. Cependant, il était guidé par une certaine connaissance empirique pratique qui imposait l'observance d'un rituel précis empreint d'un certain mysticisme. Ceci permettait la reproduction intégrale de lames aux propriétés physiques éprouvées et reconnues unique préoccupation des forgerons Koto, préoccupation qui était dictée par des impératifs martiaux. C'est de cet impératif martial que son nés les principes d'utilité et de beauté caractéristiques de la période Koto. La science métallurgique actuelle doit permettre d'apprécier et de comprendre d'autant mieux les méthodes des forgerons Koto qu'elle peut sérier et éliminer leurs aspects mystiques tout en sauvegardant son caractère traditionnel.
Trois dates et trois caractéristiques
Trois dates de l'histoire japonaise correspondent de façon marquante à des périodes de bouleversement de la culture nippone du point de vue des lames, aussi bien que dans d'autres domaines. La première de ces dates se situe aux environs de 782, soit au début de la période Heian. C'est à partir de cette époque que se fixe la forme générale du sabre japonais que nous connaissons aujourd'hui. Le sabre acquiert alors des caractéristiques spécifiquement japonaises. Cette période correspond également à l'introduction du bouddhisme et à l'avènement de la classe guerrière qui commence à jouer un rôle politique.
La seconde date se situe aux alentours de 1600. A cette époque, le Japon est totalement unifié et possède un pouvoir centralisé. On l'appelle la période Edo. Après de longues guerres civiles s'instaure une période de paix. Les classes sociales se figent, les villes attirent du monde grâce notamment à l'amélioration et à l'extension des voies de communication. Tous ces facteurs influencèrent les divers modes de fabrication des lames. La dernière date correspond à 1868, au moment ou le Japon prit sa place parmi les nations modernes.
La date qui nous concerne dans cet article est la date charnière de 1600 correspondant à la fin de la période Koto. A cette époque, la création d'un centre de forge nécessitait d'une part la proximité de la matière première, constituée par un minerai de qualité, d'autre part des étendues de forêts pour la production de charbon de bois, et enfin, de façon générale, la présence d'un marché sous la forme de concentration militaire. C'est la combinaison de ces facteurs favorables qui permit la création et le développement des cinq principaux centres de forge (Gokaden) entre la période Heian et Edo (période Koto). Ces centres donnèrent naissance à différentes écoles filiales.
L'une des caractéristiques de cette période repose donc sur la production artisanale, à partir de minerai local, de l'acier nécessaire au centre. Il convient également de savoir que la forge du sabre a été, dès le départ, une méthode de production distincte des autres branches de la métallurgie. (1)
La qualité du minerai était d'importance primordiale pour la fabrication d'une bonne lame. Seule une connaissance empirique permettait au forgeron de l'époque de sélectionner son minerai en fonction des caractéristiques recherchées. Ainsi, le minerai de Bizen était extrêmement prisé par les forgerons de sabre, tandis que celui de Kashima, pourtant l'un des plus importants centres de production du fer, était plutôt destiné à l'outillage. Aujourd'hui, les analyses métallurgiques nous renseignent sur la teneur en fer et autres composants, et permettent de comprendre scientifiquement les données empiriques des forgerons d'antan. La provenance uniquement locale du minerai constitue l'une des premières caractéristiques Koto par rapport aux autres périodes.
Wakita Ryosui Shisho, Maître-Forgeron japonais, n'a cessé de me répéter que pour obtenir un acier de qualité, facteur déterminant pour la fabrication d'une bonne lame, il fallait "toujours respecter la virginité du métal". Voilà une phrase qui, métallurgiquement parlant, ne laisse pas de surprendre. En effet, comme nous ne l'ignorons pas, il ne suffit pas de fondre du minerai pour obtenir de l'acier. L'acier est en fait l'alliage principal du fer avec le carbone. Il est obtenu par un processus de cémentation à l'aide, suivant la méthode japonaise, de charbon de bois et de feu. Sans entrer dans des considérations métallurgiques trop élaborées, il s'agit d'amener le fer et le charbon de bois à une température qui leur permette de s'allier, et ce durant un certain temps et selon la température minimum nécessaire. Ceci ne constitue pas à proprement parler une fonte, mais à l'image de la bougie dans la bouteille de Chianti de votre restaurant italien habituel, d'un goutte-à-goutte lent et progressif. Pour ce faire, le forgeron fabriquait et utilisait des fours relativement petits. L'expérience a d'ailleurs démontré que les meilleurs aciers étaient obtenus dans de petits fours. A l'époque, ce travail relevait du forgeron lui-même, ou à la rigueur d'un groupe de forgerons travaillant ensemble.
Ainsi, notre deuxième caractéristique essentielle de la période Koto résidait dans le fait que le forgeron produisait son acier selon ses besoins.
Le produit de ces petits fourneaux (kera) était donc un acier direct d'aspect amorphe et encombré d'impuretés (silice). Avec une teneur en carbone imparfaitement repartie, pouvant varier de 0,1 % à 0,7 ou 0,8 % (la teneur en carbone des lames Koto, selon les analyses métallurgiques modernes, était en moyenne de 0,6 %, ce qui en soi est déjà une caractéristique), le travail du forgeron consistait à obtenir un bloc d'acier plus raffiné et d'une teneur en carbone relativement homogène. Cette phase était réalisée à la forge en soudant et en repliant de façon à obtenir un acier corroyé. Après la période Koto, ce travail était souvent exécuté dans les centres sidérurgiques de l'époque.
Notre troisième caractéristique est donc constituée d'un acier en teneur en carbone plus ou moins hétérogène(2), comportant un certain nombre d'inclusions(3) et dont le raffinage était effectué par le forgeron lui-même(4).
A partir de 1600 environ, tout ce travail était assuré par les centres sidérurgiques de l'époque, le minerai servant de matière première à une masse. Les méthodes de production s'agrandissent pour augmenter leur rendement. Le forgeron s'adressera à un fabricant d'acier déjà purifié et relativement purifié, en tout état de cause, en teneur en carbone souvent plus élevée qu'à l'époque Koto. C'est le début de la véritable sidérurgie japonaise.
J'espère que le lecteur saisira, au travers de ces trois caractéristiques, les différences fondamentales qui existent entre le travail Koto et ce qui a suivi. Il ne s'agit pas de jugement de valeur, mais de réalités métallurgiques.
Traitement thermique et trempe
Une dernière caractéristique spécifique dont je voudrais parler, bien qu'il en existe d'autres de moindre importance, est le traitement thermique de la lame. Tout le monde sait que, suivant la méthode japonaise, on effectue une trempe sélective, pratiquement sans revenu, grâce à l'application sur la lame d'une couche d'argile. Cependant, il existe deux méthodes principales pour effectuer cette phase: in-no-tsuchi et yo-no-tsuchi. Ce dernier procédé, communément connu, consiste à appliquer une couche épaisse d'argile et à l'enlever sur la partie à tremper selon le dessin désiré. Cette technique permet en effet la formation d'un Hamon extrêmement alambiqué, tels Kiku-sui-ba, Sudare-ba, etc. Cependant, métallurgiquement parlant, cette technique crée un très fort contraste entre la structure cristalline de la partie trempée et celle de la partie non trempée. En termes simples, la trempe est trop nette, trop parfaite. De plus, cette méthode ne facilite pas la formation de caractéristiques telles que Utsuri, ou autres variations de structures cristallines dans la partie Ji. Elle encourage le forgeron à effectuer des trempes à hautes températures et généralement parlant, le résultat, bien qu'esthétiquement et techniquement impressionnant, est beaucoup moins subtil du point de vue métallurgique.
Nous n'avons, au sujet du traitement thermique de la période Koto, que des connaissances obscures. Mais les recherches qui ont été entreprises indiqueraient qu'on employait, durant la période Koto, la méthode in-no-tsuchi. Ce procédé consiste à recouvrir la lame d'une couche très mince d'argile. Au lieu d'enlever l'argile, comme dans le yo-no-tsuchi, on ajoute de petits monticules d'argile représentant un dessin abstrait qui n'a souvent rien à voir avec le résultat final. Ainsi, le Hamon est créé de façon plus harmonieuse et pratiquement par l'acier lui-même.
Nous pouvons ainsi deviner que le corroyage, la forge et la combinaison d'aciers dans la lame auront une grande importance en influant sur le résultat final du Hamon. On constate, par exemple, dans les lames Ko-Bizen, un Hada en Ko-Mokume ou Ko-Itame possédant un Hamon en Ko-Choji, Juka-Choji, possédant un rythme du Chu-Suguha en Ko-nie. En effet, la structure du corroyage peut avoir un tel effet sur le Hamon que lors d'une visite chez un forgeron Trésor national vivant japonais, je l'ai vu effectuer une trempe en Ko-Midare sans employer d'argile, à mon grand étonnement.
D'un point de vue personnel, je considère que yo-no-tsuchi relève de la technique et in-no-tsuchi de l'art. Car yo-no-tsuchi viole le métal au point d'imposer la trempe suivant la volonté du forgeron tandis que dans in-no-tsuchi, le forgeron propose au métal et c'est l'ensemble de son travail depuis le minerai qui couronnera naturellement le résultat. Cependant, la réussite en in-no-tsuchi est tellement délicate que les forgerons, souvent par souci de rentabilité, ne veulent pas se donner la peine de l'employer.
J'aimerais, en guise de conclusion, attirer l'attention du lecteur sur l'extrême complexité des différents aspects du nippon-to. Il est donc inutile de m'écrire pour me dire que vous avez trouvé un Utsuri sur une lame après Koto, ou que tel forgeron du XIXe siècle produisait son propre acier. Il n'existe pas de règles strictes qui puissent être définitives. La seule chose qui est sûre, c'est que rien n'est sûr, rien n'est jamais fixé. C'est précisément pour cela que l'étude du nippon-to est passionnante.
Notes:
1. En effet, n'importe quel simple artisan travaillant l'acier pouvait produire des lames, avec des résultats cependant très aléatoires. Ceci ne fait qu'accroître la difficulté du collectionneur à distinguer le travail d'un maître-forgeron de celui d'un simple artisan. L'Art, de tout temps, a donné naissance aux contrefaçons. Le NIPPON-TO n'échappe pas à cette règle.
2. Ceci est surtout vrai dans le cas de SOSHU-DEN et autres écoles filiales.
3. Ceci est surtout vérifiable dans le cas de YAMATODEN NAMINOHIRA et BUNGO-TAIRA.
4. La pureté et l'homogénéité d'un acier est particulièrement remarquable dans KO-BIZEN, YAMASHIRO-RAI et AWATAGUCHI, et ancien MINO.
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